miércoles, 23 de febrero de 2011

Le 23 février 1981, la démocratie espagnole a retenu son souffle

En arrivant en Espagne, je ne savais vraiment pas grand chose de l'histoire du pays. 3 ans après, je ne sais pas beaucoup plus, mais parfois, il y a des dates et des événements qui finissent par rentrer.

Le 23-F ("veïntitrès éfé"), est de ceux-là. Il y a 30 ans exactement, le 23 février 1981 (d'où 23-F), dans l'Espagne post-franco, se produisait une tentative de coup d'état, qui visait à rétablir un gouvernement d'ordre national sous direction militaire.

Pour comprendre cet événement, il faut avoir quelques notions de base de l'histoire de l'Espagne contemporaine: pour aller très vite, mais alors très très vite :
  • 1936-1939 Guerre civile, les républicains s'opposent aux franquistes-fascistes. Les fascistes l'emportent et le général Franco établit une dictature:
  • 1939-1975 Dictature du "Generalísimo Francisco Franco, Caudillo de España por la Gracia de Dios"
  • Novembre 1975: Franco meurt.
Succession de Franco et transition
Franco a désigné son successeur, le prince Juan Carlos de Borbón, qu'il a élevé. Le 20 novembre 1975, Juan Carlos est proclamé roi d'Espagne sous le nom Juan Carlos Ie et devient ainsi le nouveau chef de l'Etat. Mais en 1975, maintenir "simplement" les militaires et l'extrême droite au pouvoir n'est plus possible. Progressivement, il se décide à mettre en place un gouvernement de transition, pour faire évoluer l'Espagne du franquisme vers un régime démocratique.

A partir de 1976, "la transition" permet une série de réformes qui transforme l'Espagne radicalement : les partis politiques sont légalisés, puis les syndicats, l'amnistie est déclarée pour les prisonniers de conscience. Le droit de vote est accordé aux femmes, qui sous Franco étaient considérées comme mineures légalement: elles devaient demander l'autorisation à leur mari pour publier des écrits ou pour voyager.

La démocratie se met en place
Les premières élections démocratiques depuis 1936 sont organisées en 1977 : les Espagnols désignent leurs représentants à une assemblée constitutionnelle. Cette 1e assemblee d'élus est chargée de rédiger une constitution pour l'Espagne. Le texte qui reconnaît en particulier une importante autonomie aux Communautés autonomes espagnoles, est approuvé par référendum le 6 décembre 1978.

... et doit faire face à des résistances
Cette avancée vers un régime démocratique et en particulier les gestes faits vers la gauche et les communistes jusqu'alors clandestins et poursuivis, ne sont pas du goût de tous et sont même ouvertement critiqués par des dirigeants de l'armée. Au moment où la jeune démocratie menée par Suarez, de l'Union du Centre Démocratique, (UCD) affronte des difficultés croissantes: crise économique, attentats terroristes d'ETA, une tentative de putsch se matérialise.

Le 23 février à Madrid
Suarez, qui a dirigé les réformes à la tête du gouvernement démissionne. C'est lors de l'élection au Parlement de son successeur que se déroulent les événements du 23F: des guardes civils armés emmenés par un officier de la guardia civil (gendarmerie) Tejero, pénètrent dans l'hémicycle au moment du vote. L'assaut doit servir à provoquer la vacance du pouvoir, qui oblige à déclarer l'état d'urgence et donc à mettre en place un gouvernement national de caractère militaire.


Stupeurs et confusion
Tejero (photo) tire en l'air et les parlementaires sont sommés de se coucher au sol. Ils sont pris en otage pendant plusieurs heures. Ailleurs dans le pays, les putschistes tentent de s'emparer des points stratégiques du pouvoir. A Valence, les chars sortent dans la rue. Les casernes militaires attendent un ordre pour sortir dans les autres villes. Pourtant, la confusion règne entre les propres organisateurs du putsch et tout ne se déroule pas comme ils le souhaitaient.

La principale tête pensante derrière ce coup d'état, le général Armada, pensait établir un gouvernement d'union nationale où participeraient les militaires mais aussi des politiques de gauche, comme Felipe Gonzalez. Lorsqu'il prend connaissance de la liste des membres du gouvernement prévu par Armada, Tejero lui refuse l'accès au Parlement, considérant impensable un gouvernement "rouge".

Echec du coup d'État
Le chaos dure plusieurs heures. Dans la soirée, Juan Carlos Ie prend la parole à la télévision, et exige que les forces armées rentrent dans leur caserne et soutiennent sans conditions le gouvernement démocratique légitime. Certains dirigeants militaires hésitants, font marche arrière voyant que le commandant en chef de l'armée et roi n'est pas favorable au putsch. Le coup d'état a échoué. Le Parlement est libéré.

Trente-deux officiers et un civil furent jugés et condamnés pour la tentative de putsch du 23-F.

Les traces du 23F dans les esprits
Les historiens considérent que "cet événement a permis de consolider la monarchie et de libérer la démocratie espagnole de la tutelle militaire".

Aujourd'hui à écouter les uns et les autres parler du 23F, les sentiments sont partagés. Pour certains, peut-être la majorité des "Espagnols lambdas", la situation a semblé irréelle, lointaine. Ils n'ont pris conscience de ce qui s'était passé que les jours suivants via la presse. D'autres racontent l'attente mélée de curiosité, et d'autres encore parlent d'une peur palpable et d'une tension terrible.

L'impression qui demeure pourtant, lorsqu'on évoque l'événement c'est que la transition n'a pas été si évidente, la démocratie aussi facile à s'établir qu'on aurait tendance à le penser aujourd'hui. Et peut-être pour certains, qu'elle est un bien précieux qu'il revient à chacun de défendre au jour le jour. Une idée qu'il est pas idiot de rappeler, au moment où des personnes en Afrique du Nord risquent leur vie pour renverser des dictateurs et établir la démocratie...
Pensons-y, dans notre occident confortable: "le droit de vote ne s'use que si on ne s'en sert pas"

PS: Pour les hispanophones qui veulent en savoir plus, il existe une minisérie tv de la RTVE, intéressante, qui raconte le 23F du point de vue du roi. Aujourd'hui pour l'anniversaire, les médias publient pas mal d'info, des documents d'archives et des témoignages, sur le site de la radio télévision espagnole et sur le site d'El País.
Et pour les non hispanophones, le livre de Javier Cercas, Anatomie d'un instant a été traduit et publié en France chez Acte Sud.